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Matelamatique des genres. Trace(s), Passage d'encres, Romainville.


"Avons-nous les organes qu'il nous faudrait ? C’est la question de corps et de la littérature. Celle aussi de leurs organes et de leurs pressions anatomiques et mentales. De Vaulchier les poursuit en divers états "du presque lyrique au presque scientifique". L’issue est mince puisque créer c’est se mettre dans le sens de l’être. A savoir "l'Etrangère", peut-être la Kiki de Malakoff auquel ce superbe livre est dédié… sans pour autant épouser ses penchants et ses pas. Mais l'auteur y parvient. D’où la densité progressive de cet ouvrage expérimental dans son approche langagière et stratégique.
Tout y est comme en écarts. Mais en écarts bouillonnants. Tout y est aussi drôle que glissant, sérieux et impertinent. Un tel texte rappelle celui d'une fusée de la littérature : Joëlle de la Casinière est son (pratiquement) seul livre écrit peu de temps avant sa mort "Le Pays où tout est permis" (Editions de Minuit). Mais, en surchauffe et avachi (forcément avachi pour tes raisons matelassière) le livre de de Vaulchier regorge de plus d'énergie et d'intelligence. Il tente une traversée vers un invincible repos (même si ce n'est pas le mot qui convient…). De Vaulchier sait combien le corps est un gouffre. Inertie, énergie s'y chevauchent. Même la station active fait travailler l’invincible et le repos inné. Il ne faut donc pas expliquer l’être mais le sortir de ses ressorts (à matelas). Ne pas penser à sa propre nature mais envisager l’existence autre.
L'auteur de "Matelamatique" ne cesse d’aller comme disait Artaud « au point où on ne peut plus gouler ». Il apprend à se battre avec les images et leur inconscient. Bond en dedans pour avancer. Arrêt sur image. Restent les stigmates en espérant que les "carreaux piqués" de l'objet s'ouvriront un jour en boutons de roses, qu'ils s'épanouiront comme les pétales frêles des coquelicots.Mais comment nous libérer de notre prison ? Là est toute la question. C'est pour cela que l'auteur présente propositions, calculs, dispositifs, objets, corps et actions. Il nous apprend de facto qu'il ne faut pas attendre que l'on nous aime avec toute notre crasse, nos saletés et notre médiocrité. Loin de tout psychologisme il revient à l'essentiel. Quel est le corps qui fait ? Que fait le corps non seulement quand il devient le prolongement d’autres jambes que les siennes ? L'auteur "analyse" les faits et gestes de peau et de chair. Il examine comment transformer la tiédeur en surchauffe.
Il fait aussi ressentir la sensation d’être pendu dans le vide, de regarder hors de soi. En ses images stratégiques des parties de corps ont été détachées. Elles deviennent indépendantes et comme témoins des restes. Créer pour de Vaulchier revient (entre autres) à désarticuler avec un regard d'en dedans. Double regard même pour ramasser les insectes de la pensée qui volent de tous côtés avec des étirements, des prolongations parfois des sutures. Mais pour lui il faut préférer les beaux déchets aux chutes Car c'est toujours par en dessous qu’on touche le mieux.
Le livre distribue une suite de moments rares, rentrés d’épines enfoncées dans les idées. Il ne conserve que ce qui s’étire, transperce, ramasse, pénètre, glisse. Devant tout ce travail de « cruauté » on reste pourtant tenté de parler de bonheur. N'est-ce pas la vie que l'on cherche que l'auteur veut sauver ? Pas n'importe comment. Son texte invente de nouvelles pistes langagières et de nouveaux cadres. Il mélange les genres pour mélanger les corps.Tout ne s'emboîte pas "en corps" mais c'est bien là tout l'intérêt d'un livre qui a mal à ses formes pour nous faire jouir un peu plus. Et même si martèle dans notre crâne un « ça n’a pas d’issue », l'auteur s'y enfonce, soulève ses écailles. Il est l'éveillée qui s'inscrit au registre de l’avenir. Il est un monde de carcasses aux échines ramassées sur le matelas des songes. A sa manière il épelle l’exaltation pour qu’elle soit. Le corps s’ouvre, se laisse écarter. On regarde d'u oeil reculé, physiologique, cosmique par le dehors ses impulsions du dedans." Jean-Pierre Gavart-Peret 2009