"L'A-VENUE" 
(texte et dessins, 95 pages)
Parmi eux.
Etrangers.
Une étrangère.
L'étrangère.
S'il la reconnaît c'est que quelque chose de lui est à elle et quelque chose d'elle est à lui. Ainsi lorsqu'elle traverse en courant "…………."(1) , sent-il frotter doucement sur son sein la courroie du sac et, depuis le départ de l'Hôtel "…………….."(2), s'installer une crampe dans les cuisses appuyées sur les bords d'un siège trop haut.
Sa langue est incompréhensible mais il saisit la parfaite symétrie: ils sont les éléments totalement dépendants d'un couple voulu par une loi physique qu'un jour quelqu'un énoncera. Existence de fonctions opposées entre les corps, d'un endroit de l'un à celui correspondant de l'autre.
Le feu de la Place d'Iéna libère un flot de voitures
entraînant à toute vitesse leurs bruits de fuite
vers les colonnes laquées d'un temple de "…..."(3)
Un long tunnel traverse la terre.
Des recoins de son corps ici posé sur les marches froides sont enfermés dans le corps de celle qui se repose sur les bancs de bois du Palais "…………."(4). Et de même en lui une part d'elle aux antipodes.
Il sait.
Cette tiédeur enveloppant les muscles signale un corps plaqué sous le sien, dépôt velouté, doublure, derme à derme, tissus conjonctifs.Avec trous.
"…………………….."(5), un vide dans le masculin est nécessairement féminin, "…………….."(6). "……………, ………, …………"(7), les manques se comblent, lui d'elle, elle de lui. Lorsqu'elle se contracte et se comprime, lorsqu'elle se concentre, lorsqu'elle se pointe et se presse, un sang rapide, plus rapide que la lumière, gicle et s'élance et aussitôt lui se creuse, se fend et absorbe. "……………, …………….."(8) lorsqu'un coin de lui ou d'elle s'ouvre, immédiatement une part d'elle ou de lui s'y glisse. Au même moment.

Peut-être s'agit-il du même corps dont une présence se propage instantanément d'un bout à l'autre, prenant deux états opposés et complémentaires, l'un et l'autre aussi indispensables à la survie de ce corps.
Peut-être n'y a-t-il pas propagation mais une permanente inclusion à distance.
Mais, plus sûrement, "………………………….."(9), au moment d'expérimenter la présence, un corps unique ne prend que l'un des deux états masculin ou féminin, ne cessant jamais d'abriter le concours des jumeaux. Ainsi les deux de la paire déambulent ensemble dans leurs distantes artères, l'un de temps à autre se décomposant pour être instantanément reconstruit dans l'autre, "………….., ………………….."(10).
L'avenue si large s'allonge…………....................... (11) Elle descend, s'étire sous terre, s'enfonce, couloir de métro, tunnel d'entretien, câble électrique, fil, onde parcourant les terres et les mers, transparent cordon ombilical agité par les eaux, , battements du sang, flux et reflux..
Il retourne là-bas en elle, elle retourne ici en lui comme un gant de soi s'enlève et se retire……………………………………………………………………………………………………………………………(12)
Le sexe de l'un s'inverse dans l'autre. Enfoncés dans les ventres, ils s'installent et s'ajustent.
Flux, flux et reflux, flux fluide, chant filiforme d'une flûte, sans fin, fil à fil, fugue, fusée furtive, futée fustive, flussive, fuisse-t-elle, fils et fille, fille de flûte, fils de flût, fuisse à flûte, lutte, fille, lissefille, mittegimme, nissehinne, pittejippe, qivvkiqqe, qivvkiqqe, qivvkiqqe ….
(1) Tep Okase Fose
(2) Daep
(3) Desofa-Lu
(4) Inkesiam
(5) Up wife ev génipip
(6) Up wife ev génipip
(7) Met napruet fup disq, mui fem, emme fe mui
(8) Up doip fe mui, t'y himite
(9) Up dosq upirue sep met feuz évat
(10) Met feuz pteme fap meust asvèset
(11) M'awepue ti mashe t'evisse tout vesse, tout vesse
(12) Gmub ev segmub im ma-càt ep emme, emme idi ep mui up hap fe mui…………………………………
Critiques
Cartes du livre
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Voici comment je vois la chose.
L’Etranger est là.
- le E majuscule indique que cet étranger est le mien, étranger parce que toujours de l’autre côté, sur l’autre bord, avec d’autres gestes, une autre langue -
une frontière, une chaussée toujours nous sépare.
Sur l’autre trottoir il marche, descend et remonte l’Avenue, sur son trottoir à lui il s’arrête comme moi et s’appuie contre le mur. Mais j’ai la certitude, pour avoir pu en quelques rares occasions le vérifier, qu’il est plus fort que moi, qu’il est capable de faire des choses qui sortent de mes compétences, des choses qui ne ressemblent pas à ce que je sais faire, à ce que j’ai l’habitude de faire.
Je le sais.
Car, lorsqu’il intervient, je ne me reconnais pas : relisant ce que j’ai soigneusement noté, revoyant une série de photos que j’ai prises d’un lieu cent fois traversé, je ne me retrouve pas, je ne me reconnais pas.
Et cet étonnement me convient.
Me convient comme preuve.
C’est pourquoi tous mes efforts consistent à l’approcher, à le suivre d’aussi près que possible, à trouver des positions du corps, à inventer des comportements, des dispositifs qui le fassent marcher puis dire et faire à ma place.
Ainsi je ne cesse de monter et descendre entre le Cimetière Suspendu et la Place des Grands Couturiers, essoufflé par un pas différent du mien, mais agrippé, collé, vissé, conjoint. Ainsi je ne cesse de dessiner les cartes de nos déambulations, de tracer les diagrammes de nos difficiles relations.
L’étranger est peut-être une étrangère.